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Athénaïs Rz, "People", 2016

Athénaïs Rz, Peinture contemporaine. Essai sur la peinture actuelle, suivi de seize textes critiques, Virton, Le Comble, 2016, p. 88.

 

LiFang*

 

               People

 

               C’est peut-être à LiFang que la Figuration narrative devra sa révolution.  Du moins lui attribuera-t-on le mérite d’avoir formulé une nouvelle proposition plastique pour figurer l’anonymat quotidien de ses contemporains.  Comme certains de ses aînés, LiFang peint l’instant, sur base de photos basse def prises à la sauvette, pour ne retenir que l’empreinte du temps réel de la vie des gens qui passent pour ordinaires.  Qui ils sont n’a pas d’importance.  Ils ont été là à ce moment-là.

               L’instant est un bloc de matière à dégrossir. L’artiste semble le traiter à la manière d’un ébéniste. Comme à coups de gouge, précis et mesurés.  De la masse de l’existence, LiFang ne dégage que les contours et les formes sommaires, juste assez pour que l’action remise en image soit identifiable, mais les tragédiens à peine reconnaissables.  C’est au regardeur à compléter l’ébauche, à y modeler les visages pour leur donner une personnalité, à imaginer le décor de la scène.

               Les gens sont la préoccupation de LiFang.  L’humain est le motif du peintre, qui n’a pu s’interdire d’aussi figurer le grand lotus.  Ne faut-il pas d’ailleurs relier ce symbole de vertu à Ai Weiwei, le seul people invité à apparaître dans l’œuvre ?  L’approche serait originale.  Les autres – sauf quelques portraits, pas tous – n’ont en tout cas pas de nom.  Qu’importe.  C’est la vie du genre humain qui compte, à telle enseigne que la série intitulée Pelouse décline des tranches de vie dont les parcs sont les témoins.  Les parcs, les rues, les places… L’objectif de LiFang est urbain.  Son smartphone saisit, au hasard apparemment, la vie en mouvement ou au repos, sous un angle aléatoire et parfois avec un soupçon de voyeurisme.  De ce matériau instantané et abondant, LiFang semble ne retenir que les intervalles de simple bonheur : des jeux d’enfants, l’empressement à aller faire du shopping, la dégustation d’une crème glacée… Tout ce qui n’est rien et occupe toute une vie.

               Les petits plaisirs de l’homme, dans le monde global, sont semblables, à Paris, à Beijing, à New York, à Venise… Toutes villes dont le cadrage serré de LiFang ne montre rien.  Les couleurs, franches et contrastées, sortent d’une même palette pour dépeindre les mêmes gestes sur toutes les plages, pelouses, piscines, sous-bois… partout.  Mais Place Tian'anmen évoque discrètement une réalité moins légère.